Inspiré par Paris dans ses compositions, il nous offre ici une balade au jardin du Luxembourg.
Au Jardin Du Luxembourg
Cher et vieux Luxembourg! C'est vers cinquante-six
Que, dans les environs du palais Médicis,
S'étaient logés mes bons parents, dans la pensée
Que je serais ainsi tout proche du lycée
Dont alors j'étais l'un des mauvais écoliers;
Et le jardin royal, aux massifs réguliers,
Aux vastes boulingrins de verdure qu'embrasse
Le gracieux contour de sa double terrasse,
M'accueillit bien souvent, externe paresseux.
Parmi mes compagnons j'étais déjà de ceux
Qui ne supportent pas la routine ordinaire
Et font sécher des fleurs dans leur dictionnaire;
Et, poète futur, quand les rayons derniers
Du soleil s'éteignaient sous les noirs marronniers
Et que je m'attardais, rêveur, au pied d'un arbre,
Il me semblait parfois que les dames de marbre,
Clotilde aux longs cheveux, Jeanne écoutant ses voix,
Et la fière Stuart et la fine Valois,
Me jetaient des regards et me faisaient des signes.
Parfois encore, auprès de la maison des cygnes,
Quand les bateaux d'enfants, inclinant leurs agrès,
Fuyaient sur le bassin ridé par un vent frais,
Pour moi ces bricks mignons et ces frégates naines
Évoquaient l'Océan et les courses lointaines.
Ah! depuis ce temps-là, j'ai revu bien souvent
L'escadre en miniature enfuie au gré du vent,
Et bien souvent revu les belles dames blanches,
Dressant leurs sveltes corps sous l'épaisseur des branches;
Mais je sais maintenant combien il est amer
De chérir une femme et de tenter la mer,
Et songe que c'était un grand enfantillage
De désirer ainsi l'amour et le voyage!
L'amour! ce fut aussi sous tes rameaux flottants,
Jardin chéri, que j'ai tant souffert à vingt ans.
T'en souviens-tu, vieux banc sur qui j'allais l'attendre,
La petite blondine au regard fin et tendre
Par qui mon coeur naïf voulait se croire aimé?
Quand je passe par là, dans certains jours de mai
Où l'haleine des fleurs semble plus odorante,
Je revis les bons jours de notre idylle errante.
J'habitais en famille, elle avait un jaloux,
Et souvent pour abris, vieux parc, ces rendez-vous,
Où l'amour me brûlait de ses ardeurs premières,
N'eurent que tes lilas et tes roses trémières.
Je n'obtenais, toujours au moindre bruit craintif,
Qu'une rapide étreinte et qu'un baiser furtif.
Pour effleurer son front de ma bouche affolée
Il fallait profiter du tournant d'une allée
Et reprendre aussitôt l'air distrait et flâneur
Devant le vieux gardien avec sa croix d'honneur.
Mais nous avions vingt ans et c'était une fête!
Et cette éternité d'amour que le Prophète
Promet aux vrais croyants au sein du paradis,
Oui! je la donnerais toute, je vous le dis,
Pour le moment si court où, dans la Pépinière,
Avec sa caressante et mignonne manière,
Se serrant sur mon coeur, elle me demanda
Ce long baiser que seul a vu la Velleda.
O parc royal, tu vis finir sa fantaisie,
Et lorsque la douleur m'apprit la poésie,
- Car on ne sent tout son bonheur qu'en le perdant, -
C'est toi qui fus encore mon premier confident!
Triste enfant de Paris, né loin de la nature,
C'est grâce à ton charmant asile de verdure
Que je l'ai devinée et que je la connais;
C'est par toi que, jeune homme à la chasse aux sonnets,
Qui passais sans les voir près des joueurs de paume,
J'ai su que l'oiseau chante et que la fleur embaume;
Et sous tes noirs rameaux je reviens aujourd'hui
Pour toutes ces raisons, je t'aime, ô Luxembourg!
Car ma jeunesse, hélas! depuis longtemps passée,
Sur ton sable a semé son coeur et sa pensée,
Et mes premiers baisers comme mes premiers vers
Ont pris leur libre essor sous tes vieux arbres verts.
Chercher la rime rare ou le mot juste enfui,
Et dans les voluptés du rêve je m'enfonce,
A l'heure où le couchant saigne sous le quinconce
Et quand pour le départ roule au loin le tambour.
A toi je suis lié par un secret arcane.
Et quand je reviendrai, vieillard traînant ma canne,
Par quelque doux matin d'un automne attiédi,
Sur tes bancs, au soleil, me chauffer à midi,
Promets-moi, vieux jardin, témoin de mon aurore,
Quelque déception que me réserve encore
La volupté qui blase ou la gloire qui ment,
Que, devant une amante au bras de son amant,
Ou devant un rêveur qui va lisant un livre,
Le souvenir encore me rendra le coeur ivre
De ce qui l'enivrait en son doux floréal,
Et que je bénirai l'amour et l'idéal!
François Coppée
Le Palais du Luxembourg dit 'Palais Médicis' dans le poème de François Coppée Jardin du Luxembourg - Paris |
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