dimanche 30 novembre 2014

Hymne de Lydie Salvayre

Hymne est un ouvrage de Lydie Salvayre paru au Seuil en août 2011.

Hymne est une biographie sans réel souci d'exactitude, une ovation à l'œuvre de Jimi Hendrix.
Les nombreux anaphores rythment l'ouvrage. Lydie Salvayre semble marteler son discours.
C'est l'ouvrage, sans nul doute, d'une femme passionnée.

"Sa guitare devint l'unique bien à quoi son cœur se voua.
Le centre de sa vie.
un centre qui lui était d'autant plus nécessaire que la vie de famille, depuis la séparation de ses parents, avait perdu le sien (centre), sa mère se mourant d'alcoolisme
il ne savait en quel mouroir et son frère Leon placé en famille d'accueil.
Sa guitare fut sa raison de vivre,
sa consolation,
son garde-fou,
le chien accroché à ses basques jusqu'à la fin des jours,
sa lady électrique,
son seul bonheur,
sa seule force,
sa passion,
qui ne souffrait nulle rivale,
et à laquelle il se donna sans mesure.
Sans mesure."

"L'Amérique avait injustement, scandaleusement, ignoré Hendrix. L'Europe, en quelques semaines, le consacra. Comment comprendre cette ignorance américaine dont Edgar Allan Poe, un siècle avant, eut à souffrir au point de se tuer d'alcool?
Ecoutons, à son sujet, Baudelaire (encore, encore).
L'Amérique, écrivit-il, ce pays où l'idée d'utilité, la plus hostile au monde à l'idée de beauté, primait et dominait toutes choses, l'Amérique ne fut pour Poe rien d'autre qu'une cage. Car dans cette société goulue, brutale et affamée de matérialité (ce furent les mots de Baudelaire), il y avait quelque chose de pourri: il y avait cette sacro-sainte et despotique opinion publique, c'est-à-dire l'opinion de l'Homme Moyen, c'est-à-dire l'opinion de la Majorité Morale, c'est-à-dire l'opinion du public moutonnier, laquelle (opinion) favorisait un extraordinaire bouillonnement de médiocrités, ne laissant nulle place à la singularité du génie.
Cette analyse de Baudelaire sur le rôle désastreux de l'opinion publique, qui sera plus tard reprise par Karl Kraus, puis par Walter Benjamin, cette analyse à laquelle manque, et pour cause, la prise en compte de l'unification de l'opinion par le Grand Marché Culturel et de la Médiocrité Mondialisée qui lui est conséquente, cette analyse est-elle encore pertinente pour expliquer l'incompréhension américaine dont Hendrix eut à pâtir dans les années 60?"

"Me voici revenue à Woodstock, ce fameux 18 août 1969, où Hendrix, en jouant The Star Spangled Banner, colla la chair de poule aux vingt mille personnes qui étaient restées pour l'écouter.
J'ai affirmé, plus haut, qu'il fallait se garder de réduire The Star Spangled Banner à la seule protestation contre la guerre, et que toute lecture simpliste, tout dogmatisme supposé serait une injure crachée à la gueule et à l'œuvre de Hendrix.
Mais on ne peut nier que la guerre au Vietnam inspira The Star Spangled Banner, comme la guerre d'Espagne inspira en son temps les romans de Bernanos, de Malraux ou d'Hemingway.
A l'instar de Prokofiev (à quel grand musicien ne l'aurai-je comparé?) qui composa la Septième Sonate en si bémol majeur opus 83 en 942, c'est-à-dire au paroxysme de la guerre, et qui exprima cette tragédie mieux que tous les discours du monde, Hendrix en composant The Star Spangled Banner en dit plus long sur la guerre [...] Hendrix libéra The Star Spangled Banner, et, le libérant, lui redonna le sens qu'il portait dès l'origine.
Car il est important de préciser que le texte d'origine dont le sens s'était perdu à force d'être ânonné, ce texte qui était devenu avec le temps une chose vide et qui sonnait comme une coquille creuse, ce texte fut écrit en 1814 par un certain Francis Scott Key, à seule fin de protester contre la guerre.
Avocat et poète, Francis Scott Key avait assisté en 1812 au bombardement de Fort MacHenry, à Baltimore, par les navires britanniques de la Royal Navy entrés dans la baie de Chesapeake.
Il avait écrit alors ce poème de colère, pour rendre hommage à la résistance héroïque des soldats qui avaient vaillamment défendu le fort et hissé à son sommet le drapeau américain en dépit de l'acharnement des ennemis à y planter le leur. Et ce texte, joué sur l'air de To Anacreon in Heaven, une chanson populaire anglaise, était devenu en 1931 l'hymne officiel des Etats-Unis.
Hendrix, disais-je, lui redonna son sens premier.
Il lui redonna sa mémoire,
lui redonna la vie,
le sang,
la rage.
Il lui insuffla la liberté,
le tisonna,
l'ensauvagea..."


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