vendredi 1 juillet 2022

Episodes de l'histoire du Portugal

 Episodes de l'histoire du Portugal

Chapitre 1

Le comte Henri - Guerre civile - Bataille d'Ourique - Cortès de Lamego, Alphonse Ier, Roi du Portugal - Prise de Lisbonne - Evora prise par stratagème - Grandeur d'âme du roi de Léon - Bataille de Santarem


La lutte héroïque au prix de laquelle l'Espagne reconquérait peu à peu son indépendance sur les Maures, cette croisade de l'Occident, durait depuis trois siècles, et plusieurs royaumes s'étaient formés des lambeaux arrachés au grand empire des infidèles, quand parurent à la Cour d' Alphonse VI, roi de Castille, deux comtes étrangers, qui, ainsi que tant d'autres nobles hommes, étaient venus porter aux chrétiens le secours de leur forte lance (1095).

L'un deux, le comte Henri, était le descendant de Hugues Capet, le quatrième fils du duc Henri de Bourgogne; l'autre était son cousin Raymond. Tous deux étaient venus en Espagne sur le bruit de beaux coups d'épée qui s'y donnaient, et il ne s'y montrèrent point indignes de la gloire de leur maison; ils se comportèrent même avec temps de bravoure, qu'un poète contemporain dit qu'il a vu le Cid lui-même s'incliner avec respect devant ces nobles étrangers. Le roi, pour les récompenser, leur donna deux de ses filles en mariage: Raymond eut dona Urraca, avec la principauté de Coïmbre pour dot ; l'autre, Henri de Bourgogne, épousa dona Téréja, qui lui apporta en dot le pays situé entre le Douro et le Minho, et les provinces de Beïra et de Tras- os-Montes. Tout le reste du pays qui s'étend jusqu'à la côte des Algarves était encore au pouvoir des Musulmans ; c'était l'arène ouverte à l'ambition et au courage de Henri et de ses successeurs.

  Tant qu'Alphonse vécut, Henri demeura dans des rapports de dépendance envers le roi; mais ce prince étant mort en 1109, le jeune État qui s'était formé dans le sein de la Castille s'en détacha comme un fruit mûr, et commença ces glorieuses destinées qui devaient l'amener à fonder un jour une domination presque aussi vaste que l'empire romain.

   Après dix-sept victoires remportées sur les Maures, Henri, chargé d'ans et de gloire, mourut le 1er novembre 1112, ne laissant d'autre héritier qu'un fils âgé de trois ans, sous la tutelle de la reine dopa Téréja. Cette princesse, malgré les orages qui troublèrent sa régence, trouva dans l'exercice du pouvoir souverain un charme qui lui fit méconnaître les droits de son fils, lorsque celui-ci fut parvenu à sa majorité.

Elle refusa de lui remettre le sceptre et voulut même le priver de son héritage. Le monde eut alors le triste spectacle d'une mère que l'ambition et la soif du Pouvoir poussaient à prendre les armes contre son propre fils. Pour sauver ses jours et l'indépendance du Portugal, le fils du comte Henri, Alphonse-Henri, qui, par ses brillantes qualités, avait déjà su se concilier de nombreux partisans, réunit ses amis et leva une armée. La sanglante bataille de Saint-Mamète, près de Guimaraes (1128), décida la querelle; la cause du droit triompha; dona Téréja fut vaincue, et cette mère dénaturée, désormais hors d'état de nuire, s'enfuit dans le château de Leganoso, où elle termina dans l'obscurité des jours empoisonnés par le remords.

   Alphonse -Henri, maître enfin de son royaume, ne tarda pas à faire sentir aux infidèles la force de son bras. Après une lutte stérile contre le roi de Castille, qui avait pris le titre d'empereur d'Espagne, et dont les prétentions menaçaient l'indépendance du Portugal, il tourna tous ses efforts contre les Arabes, qui avaient profité de cette guerre intestine pour ravager ses terres. A la tête d'une armée plus redoutable par la valeur que par le nombre, il franchit le Tage et s'avança dans la province d'Alentéjo. A cette nouvelle, cinq rois musulmans rassemblèrent leurs forces, que vinrent grossir une multitude de barbares arrivés récemment de l'Afrique. Alphonse -Henri s'établit avec sa petite armée sur une hauteur, près de la ville d'Ourique, au pied de laquelle les innombrables hordes sarrasines assirent bientôt leur camp. A cette vue, le roi sentit le courage lui manquer ; il désespéra de vaincre, avec si peu de troupes, une si grande multitude. « Mais, disent les récits contemporains, Jésus Christ lui-même lui apparut, suspendu sur la croix, et lui promit de lui donner la victoire et de prendre son royaume sous sa protection. » Au point du jour, un signe éclatant vint confirmer cette promesse : le soleil naissant fit briller de telle manière les armures des Portugais, que toute leur armée en reçut une apparence formidable. Le prince reprit courage; il passa les siens en revue, les appela par leur nom, leur parla des exploits de leurs ancêtres et de la sainte cause pour laquelle ils allaient combattre.

  Cependant les nobles, voyant plusieurs rois dans l'armée ennemie, désirèrent que leur chef, qui avait jusqu'alors porté le titre de comte, comme son père, portât le titre de roi, et prièrent le prince de leur permettre de l'appeler de ce nom. Alphonse - Henri, pensant que mériter de régner valait encore mieux qu'un royaume, leur répondit qu'il se contentait de l'honneur de leur commander et d'être leur frère et leur compagnon ; mais les nobles insistèrent si vive ment, qu'il dut céder. Alors ses compagnons d'armes, poussant des cris de joie ; le nommèrent roi et lui baisèrent les mains. C'est ainsi que la royauté portugaise naquit sur un champ de bataille, qui allait être tout à l'heure un champ de triomphe.

     Dans ce moment même, les Sarrasins attaquaient le camp. Le nouveau roi monta à cheval et fondit, à la tête d'une troupe d'élite, sur la première colonne des ennemis, la sépara du reste de leur armée et la

tailla en pièces. Il se battait en brave chevalier ; en gagé au milieu d'un gros de Sarrasins, où sa fougue l'avait emporté, il frappa l'un d'eux avec une telle vigueur, qu'il tomba en même temps que lui, et eût péri glorieusement, si ses sujets ne l'eussent prompte ment dégagé. Les Sarrasins, effrayés du carnage que les Portugais faisaient autour d'eux, se débandèrent et prirent la fuite, après avoir combattu depuis le matin jusqu'à midi.

   La victoire d'Ourique (25 juin 1139 ) fut comme le baptême de la monarchie portugaise, et Alphonse

Henri voulut en perpétuer le souvenir dans les armes qu'il donna à son pays, et qui devaient le désigner à l'avenir comme un royaume indépendant. L'apparition miraculeuse du Christ y figura, pour rappeler la victoire qu'il lui avait due sur les cinq rois musulmans.

   Le roi convoqua ensuite les députés du clergé, de la noblesse et du peuple, afin qu'ils confirmassent le choix de l'armée ; les cortès, c'est-à-dire l'assemblée nationale, se réunirent à Lamégo en 1143. Le roi s'y rendit, et, dès qu'il fut assis sur son trône dans l'église de Santa -Maria d'Almacare, le procureur royal se leva de son siège et dit :

      Le roi Alphonse, que vous avez nommé roi sur le champ de bataille d'Ourique, vous a réunis ici afin que vous déclariez si vous consentez à l'avoir pour roi.

  Tous crièrent :

       Oui.

       Comment l'entendez - vous ? demanda -t-il de nouveau ; est-ce Alphonse seul, ou ses fils après lui?

   - Il doit régner pendant sa vie, et ses fils lui succéder, répondirent les députés.

   Alors l'archevêque de Braga prit la couronne d'or des rois goths et la posa sur le front du roi, qui tenait à la main son épée de combat. Alphonse-Henri se leva aussitôt et dit :

   - Loué soit Dieu qui m'a aidé ! Avec cette épée, j'ai vaincu vos ennemis et je vous ai délivrés. Puisque vous m'avez fait votre roi, il convient que nous fassions des lois qui assurent la paix du royaume.

    Les états répondirent :

      - Nous le voulons, Sire, et nous sommes prêts à faire les lois que vous proposerez ; car, nous et nos enfants, nous obéirons à vos commandements.

  Et ils firent alors les lois qui réglaient la succession au trône, les droits et les devoirs du roi et de ses sujets, et la police du royaume.

   Pour consolider encore davantage sa couronne et lui assurer la protection céleste, le roi Alphonse Henri, d'accord avec ses sujets, s'obligea à payer un tribut au pape, et se mit sous la protection de Notre Dame de Clairvaux, pour laquelle il avait une dévotion spéciale.

   Ces soins pris, le roi rentra en campagne. La conquête de Santarem fut son premier exploit. Pendant qu'il assiégeait cette ville, quelques chevaliers, profitant d'une nuit obscure, escaladèrent les murs de la ville, y pénétrèrent et en ouvrirent les portes à l'armée portugaise, qui attendait dans le silence le plus profond l'issue de cet audacieux coup de main.

Ce succès encouragea les chrétiens, qui résolurent de tenter une entreprise plus difficile encore, le siège de Lisbonne. Une flotte de deux cents bâtiments, portant des Allemands, des Flamands et des Anglais, qui se rendaient en terre sainte, avait relâché à Oporto. Ces croisés acceptèrent avec joie l'offre qui leur fut faite de prendre part à l'expédition, et le siège fut aussitôt commencé. Les chrétiens construisirent des tours de Lois aussi hautes que les murs de la ville, les firent approcher de la muraille, sur laquelle ils voulurent s'élancer au moyen de ponts ; mais ils furent repoussés après un grand carnage. Ils ne se découragèrent pas et bloquèrent la ville, où la faim ne tarda pas à se faire sentir. Beaucoup d'habitants s'enfuirent et vinrent demander asile dans le camp. Ceux qui consentirent à se faire baptiser y furent reçus ; les autres furent renvoyés à Lisbonne, où les assiégés les firent périr. Mais l'ardeur des chrétiens, le courage indomptable avec lequel ils s'exposaient à la mort, jetèrent enfin le découragement dans la garnison, qui, après un mois de résistance, demanda à capituler, et livra au roi Alphonse cette importante place qui devait être la capitale du Portugal. Son heureuse situation à l'embouchure du Tage et son port sur l'Océan devaient en faire le centre du commerce du monde. Un grand nombre de croisés, retenus par les libéralités du roi, s'établirent à Lisbonne et dans les environs ; ce qui accrut rapidement l'importance de cette ville.

  Un chevalier portugais, nommé Girala, avait commis un crime qui le força de se retirer dans la province d'Alentejo, où les bannis avaient coutume de se réfugier. Il y devint le chef d'une troupe de bandits qui exerçait ses déprédations également sur les chrétiens et sur les mahométans ; mais bientôt fatigué de cette vie criminelle, il songea à faire quelque grand exploit qui pût lui valoir sa grâce. Il s'était établi sur le mont Muro, vis-à-vis d'Évora. Il résolut de s'emparer de cette ville. A la faveur de la nuit, il s'approcha d'une tour isolée qui la protégeait du côté de l'ouest et en escalada le rempart. Un Sarrasin et sa fille en étaient les seuls gardiens ; surpris endormis, la jeune fille fut précipitée du haut de la tour, et son père fut tué. Maître de la tour, Girald envoie une partie des siens vers le point qu'il leur indique ; puis, au lever du soleil, il fait signe aux habitants que des hommes armés s'avancent du côté où il a envoyé sa troupe. Les habitants alarmés s'y portent en force, et Girald profite de ce moment pour pénétrer dans la ville par la porte qui donnait ile son côté et s'en emparer. Les cris des habitants surpris ainsi annoncent à ceux qui sont dehors la nouvelle de ce désastre :: ils veulent revenir en toute hâte au secours de leurs femmes et de leurs enfants ; mais ils trouvent les portes fermées et bien gardées, et bientôt, attaqués par derrière par la seconde troupe de Girald, ils périssent presque tous. Les vainqueurs informèrent aussitôt le roi de cette conquête ; il leur accorda leur grâce, et leur confia la défense de la ville qu'ils avaient si habilement enlevée aux infidèles.

       Alphonse-Henri fit quelque temps après la guerre à son gendre Ferdinand, roi de Léon, au sujet de quelques places sur lesquelles il prétendait avoir des droits. Il fut vaincu à la bataille de Badajoz et tomba au pouvoir de Ferdinand, qui, loin d'abuser de cet avantage, traita son royal beau -père avec un respect, une générosité, une magnificence inouïs. Alphonse Henri, reconnaissant l'injustice de ses prétentions, offrit à son gendre de lui abandonner sa personne et son royaume en réparation de son tort ; mais le roi de Léon, avec une grandeur d'âme digne de ces âges héroïques, refusa ces offres, ne demanda que les villes dont la possession lui avait été contestée à tort, et renvoya le roi et les autres prisonniers sans exiger de rançon.

       Cependant les attaques continuelles des Portugais avaient irrité les Sarrasins. Leur roi Jusuf, plein des souvenirs de la grandeur arabe, et regardé comme un saint par son peuple, ne voyait qu'avec amertume les progrès incessants des chrétiens. Il assembla donc une armée immense, et, quittant l’Afrique, il débarqua à Gibraltar et marcha droit sur le Portugal.

    Treize rois maures le suivaient. Il renversa tout ce qui lui résista, et arriva enfin devant Santarem, ou

    commandait don Sanche, le fils aîné d'Alphonse Henri. Dès le lendemain de son arrivée, il fit donner l'assaut, et pendant cinq jours l'attaque, incessamment renouvelée, obligea la faible garnison à demeurer sans repos sur la muraille, du haut de laquelle elle contemplait avec désespoir l'immense armée ennemie, qui renouvelait sans peine les assaillants. Les Portugais, épuisés de fatigue, couverts de blessures, voyant leurs murailles croulantes, n'attendaient plus que la mort, quand soudain le vieux roi Alphonse paraît à la tête des troupes qu'il a rassemblées et qu'il amène au secours de son fils. Sa seule présence vaut une armée ; les Portugais reprennent courage, ils attaquent les Sarrasins ; une lutte terrible s'engage.

Mais Jusuf, le chef des ennemis, leur saint, ayant été blessé, une terreur panique s'empara d'eux ; ils prirent la fuite dans le plus grand désordre, abandonnant aux Portugais un riche butin et le corps de leur chef, noyé en passant le Tage.

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